Ahmadou Kourouma écrit l'histoire d'un enfant condamné à devenir le soldat d'une guerre qu'il ne comprend pas. Face aux actes inhumains auxquels il assiste et participe, la maxime "Allah n'est pas obligé d'être juste dans toutes les choses qu'il a créées ici-bas" a remplacé la berceuse du coucher.
C'est à travers le métissage de la langue Française et Mandingue, que Ahmadou Kourouma nous donne à entendre la voix d'un enfant-soldat. Les mots sont simples, limpides, presque mécaniques devant l'atrocité de la guerre. Plus qu'un travail entre fiction et documentaire, c'est une linguistique nouvelle qui se construit sous nos yeux horrifiés. Une langue tranchante qui nous dépeint l'Enfer à travers le regard d'un enfant condamné à y participer.
Birahima, âgé de dix ou peut-être douze ans, vit à Togobala en Côte d'Ivoire. Après la mort de sa mère, il pense trouver refuge chez sa tante installée au Liberia. Accompagné de Yacouba, « le bandit boiteux », ils décident de traverser la Sierra Leone et le Liberia. Dans ces deux pays, déchirés par les guerres et les conséquences de la colonisation, Birahima se fait enrôler par le NPFL (Front National Patriotique du Liberia), l'ULIMO (Mouvement Uni de Libération pour le Liberia), et la RUF (Front Révolutionnaire Uni) qui le forment au combat. L'enfant ne joue plus au soldat, l'enfant devient un soldat. L’AK-47 a remplacé le pistolet de cow-boy, et le shit est devenu un bonbon.
Il assiste aux massacres, aux pillages, aux viols, jusqu'à ce que ses mots et son regard se vident de toute émotion. Il imite les adultes, les enfants qui n'en sont plus, jusqu’à devenir, à son tour, un acteur de l'horreur.
Né en 1927 et mort en 2003, Ahmadou Kourouma est un écrivain francophone ivoirien. Il a grandi à Togobala et entre à l’école de Boundiali à l’âge de 7 ans avant de poursuivre à l’école technique supérieure de Bamako. Il est finalement renvoyé de l’école et devient tirailleur au Bataillon autonome de Côte d’Ivoire pendant les luttes d’indépendance des colonies africaines. Il est arrêté pour insubordination après avoir refusé de réprimer des manifestations du RDA (Rassemblement Démocratique Africain), et est emprisonné avant d’être envoyé en Indochine comme tirailleur sénégalais.
Dans les années 60, il part vivre en Algérie et quitte le pays pour la France où il trouve un poste de sous-directeur d’une agence banquière. En 1968, il écrit son premier roman, Les Soleils des indépendances, et son second Monnè, outrages et défis en 1988. En attendant le vote des bêtes sauvages, son troisième roman sortira en 1998 et Allah n’est pas obligé en 2000. Au moment de sa mort, il rédigeait son cinquième livre Quand on refuse on dit non, qui aurait été la suite du précédent. Ce dernier sera publié à titre posthume en 2004.
Illustration de Nicolas Andre pour les éditions du Seuil / A. Kourouma
Si Allah n’est pas obligé apparaît comme un roman choquant, trash et violent, il est surtout un travail d’écriture ciselé. Une réflexion sur le métissage linguistique coloniale, sur celui des dictionnaires et de la rue, et la manière dont un enfant fait entendre sa voix dans cette guerre culturelle, sociale et politique sans rien savoir de ce qui se joue réellement.
Il raconte l’histoire d’un enfermement, le héros subit, observe et reproduit. Un cercle infernal rythmé par une maxime fataliste mais pourtant réconfortante "Allah n'est pas obligé d'être juste dans toutes les choses qu'il a créées ici-bas". Mais c’est pourtant avec justesse que Ahmadou Kourouma parvient à nous plonger au cœur de l’esprit d’un enfant-soldat, et qu’on ne peut arrêter la lecture malgré la monstruosité qui défile sous nos yeux.