2025. Un quart du siècle vient de s'écouler et un premier bilan cinéma semble opportun. Quels sont les films qui, pour nous, ont marqué le XXIe siècle ? Plus précisément, quels sont, en 2025, les 25 films les plus importants de ces 25 dernières années ? Et comme nous sommes généreux, ce ne sont pas seulement 25 films, mais deux fois 25 films que notre classement propose.
Les 25 films du XXIe siècle pour Katia
2000

Beau travail / Claire Denis
L'ex-adjudant Galoup se remémore les temps heureux passés dans la Légion étrangère et sa vie bien orchestrée avec ses hommes, dans le golfe de Djibouti, à jouer à la guerre et réparer des routes. Il se souvient de son admiration pour son supérieur le commandant Bruno Forestier et surtout de sa haine pour le jeune légionnaire Gilles Sentain, dont il fut maladivement jaloux.
Ce film remarquable est une étude captivante sur la proximité et la distance, l'étrangeté et la sécurité, la discipline et le désir. Son approche narrative radicale et sa mise en scène austère perturbent et fascinent à la fois. Claire Denis y célèbre l'érotisme des corps de soldats et des ballets sportifs militaires en présentant l'entraînement militaire comme un rituel dénué de sens, in fine destiné uniquement à protéger du vide intérieur.
2001

Mulholland Drive / David Lynch
Betty Elms, jeune actrice du Midwest, débarque à Los Angeles dans l'espoir de faire sa place à Hollywood. Rita, femme amnésique et confuse qui vient d'échapper à ses ravisseurs « grâce » à un accident de la route inattendu sur Mulholland Drive, échoue chez elle. Ensemble elles vont tenter de comprendre ce qui est arrivé à Rita.
Ce chef-d’œuvre intemporel et énigmatique, incroyablement beau et véritablement effrayant, renferme à jamais les clés de son mystère. Son pouvoir d'attraction incomparable mêle rêves brisés et sentiments déçus. Mulholland Drive s'engage sur une route qui mène au désastre par de nombreux virages. Rien n'est réel, et pourtant tout nous touche intensément.
2003

Le Retour (Vozvrachtchenie) / Andreï Zviaguintsev
Adolescents turbulents, Ivan et Andreï, élevés par leur mère, n’ont jamais connu leur père. Après douze ans d’absence, ce dernier frappe à leur porte. Pour restaurer les liens rompus, il leur propose une partie de pêche. Chemin faisant, la voiture bifurque. L’homme taciturne emmène les enfants sur une île déserte.
Dans son récit initiatique, au chatoiement bleuté et à la beauté mythique, Zviaguintsev se concentre entièrement sur l'instant présent et la dynamique psychologique des trois personnages principaux. Le film, sobre et concis, est si allégorique qu'il se prête à toutes sortes d'interprétations : une allusion à la politique russe, une critique sociale, de nombreuses références religieuses.

Lost in Translation / Sofia Coppola
Bob Harris, acteur hollywoodien reconnu, se rend à Tokyo pour tourner en toute discrétion une pub pour un whisky. Dans le même hôtel séjourne Charlotte, jeune mariée et récemment diplômée, qui accompagne son mari, un photographe en vogue. En total décalage horaire avec le monde qui les entoure, tous deux vont progressivement unir leurs solitudes en s'affranchissant l'espace d'un instant précieux de leur routine habituelle.
Avec un sens aigu de l'atmosphère et des nuances, Sofia Coppola crée une oeuvre discrète et joyeusement mélancolique. La rencontre touchante de deux âmes perdues offre un intervalle de flottement irréel et rêveur au désir silencieux. Le film, tendre et fantasque, est enveloppé d'une délicate étrangeté, et invite à une exploration poignante des liens humains et des différences culturelles.

Saraband / Ingmar Bergman
Trente ans se sont écoulés depuis que Marianne et Johan, le couple de Scènes de la vie conjugale se sont perdus de vue. Sentant confusément qu'il a besoin d'elle, celle-ci décide de rendre visite au vieil homme dans la maison de campagne où il vit reclus. Entre eux, la complicité et l'affection sont réelles malgré toutes ces années passées sans se voir. Marianne fait la connaissance du fils de Johan, Henrik, et de la fille de ce dernier, Karin. Entre ressentiment, incompréhension et tendresse, tous les quatre s'affrontent et se retrouvent.
Cette adaptation subtile d'une relation amour-haine, soigneusement mise en scène avec simplicité et majesté, s'organise autour d'une grande passion pour les mots. Le film aborde les thèmes de la fugacité, de l'approche obsédante de la mort et de sa peur, touchante et dénuée d'émotion. Saraband, chant du cygne d'Ingmar Bergman, rappelle une dernière fois l’œuvre profondément existentialiste du cinéaste.
 
Elephant / Gus Van Sant
C’est une belle journée. Très ordinaire. Un lycée américain vit au rythme du sport, du réfectoire, de la bibliothèque, du labo photo. Nous suivons une douzaine d’élèves ainsi, dans leur quotidien. Bizarrement, on y étudie peu. Tout le monde se croise. Pour certains ce sera d’ailleurs leur dernière journée. Le film est inspiré de la tragédie du lycée Columbine.
Une œuvre intense, vibrante et dérangeante, à la fois intime et étrangement distante de ses personnages. Le film n'offre pas d'explications universelles, mais plutôt une mosaïque d'impressions, de sensations et de blessures, qui culmine en un acte horrible. Un signal musical spartiate, une touche de Beethoven et le poème silencieux, dans son immuabilité, devient fugue.
2007

United Red Army (Jitsuroku rengô sekigun : Asama sansô e no michi) / Koji Wakamatsu
Au début des années 1970 au Japon, au faîte de la contestation étudiante et de la violente répression qui s'en suit, un groupuscule d'extrême-gauche prônant la lutte armée voit le jour : l'Armée Rouge Unifiée, avec à sa tête un commandement bicéphale assumé par l'impitoyable Tsuneo Mori et la vénéneuse Hiroko Nagata. Entrés dans la clandestinité, les membres de l'Armée Rouge Unifiée trouvent refuge dans la montagne où ils reçoivent un entraînement militaire pour devenir des révolutionnaires exemplaires. Mais au fil du temps, la discipline de fer se transforme lentement en régime de terreur.
Saisissant, radical et tendu, United Red Army n'est pas seulement un film sur le pouvoir et le militantisme extrêmes, dévastateurs et abusifs. C'est aussi une épopée cathartique sur les possibilités d'action face aux situations désespérées et aux rêves brisés.
2008

Profils paysans / Raymond Depardon (2001 / 2005 / 2008)
Raymond Depardon a suivi pendant dix ans des paysans de moyenne montagne, derniers témoins d'un métier menacé de disparition. Sa grande trilogie documentaire, L'approche, Le quotidien et La vie moderne, nous parle avec une grande sérénité, de nos racines et du devenir des gens de la terre, en nous invitant dans leurs fermes avec un naturel extraordinaire.
Depardon s'attache, avec une grande justesse, à capturer un monde presque oublié en créant un portrait authentique de petits agriculteurs excentriques, parfois taciturnes, mais toujours dignes. Un acte d'amour véritable et un talent indéfectible dans sa capacité à cadrer des images qui montrent pleinement la grande valeur du labeur.

There Will Be Blood / Paul Thomas Anderson
Au début du XXème siècle, Daniel Plainview s'installe avec son fils à Little Boston, une petite ville de Californie, persuadé qu'il y fera fortune grâce aux quantités phénoménales de pétrole qu'elle recèle. Bientôt leur succès va susciter tensions et jalousies dans une ville où chacun lutte pour survivre. L'unique distraction est l'église animée par le charismatique prêtre Eli Sunday qui exerce une influence grandissante sur la communauté. Une lutte sans merci va s'engager entre les deux hommes, jusqu'aux confins de la folie.
En revenant aux origines du capitalisme et en mettant à nu les piliers fondamentaux de l'Amérique (la cupidité et la foi), Paul Thomas Anderson propose un récit épique stimulant et désabusé. La mise en scène à la fois classique et révolutionnaire sert admirablement la performance époustouflante et surhumaine de Daniel Day-Lewis.

Les Plages d'Agnès / Agnès Varda
En revenant sur les plages qui ont marqué sa vie, Varda invente une forme d'auto-documentaire. Agnès se met en scène au milieu d'extraits de ses films, d'images et de reportages. Elle nous fait partager avec humour et émotion ses débuts de photographe de théâtre puis de cinéaste novatrice dans les années cinquante, sa vie avec Jacques Demy, son engagement féministe, ses voyages à Cuba, en Chine et aux USA, son parcours de productrice indépendante, sa vie de famille et son amour des plages.
Photographies, décors et extraits des films d’Agnès Varda apparaissent comme des débris flottants et les souvenirs dansent comme des vagues. Autoportrait résolument subjectif, riche en idées de mise en scène, cet essai peut aussi se lire comme une réflexion sur le cinéma. La mosaïque d'images estivale et légère, oscille entre documentaire et rêverie, et captive par sa douce mélancolie.
2009

Mary et Max / Adam Elliot
Dans une petite ville d'Australie, en 1976, Mary, huit ans, est la cible des moqueries de ses camarades et se sent bien seule. Un jour, elle feuillette l'annuaire de New York, y choisit un nom au hasard et entreprend de correspondre avec un certain Max Horowitz. Elle ne sait pas encore que Max, juif obèse de 44 ans atteint du syndrome d'Asperger, est aussi seul qu'elle. Sa lettre va bouleverser sa vie.
L'histoire de ces deux marginaux liés par une amitié improbable et réalisée en stop-motion avec un sens aigu du détail, est une ode à la différence, exquise et décalée. Un bijou qui touche au cœur sans fausse mièvrerie.

Le Ruban blanc (Das weisse Band) / Michael Haneke
1913-1914, à la veille de la Première Guerre mondiale, dans un village de l’Allemagne du Nord protestante. L’histoire des enfants et des adolescents d’une chorale dirigée par l’instituteur du village, et de leurs familles : le baron, le régisseur, le pasteur, le médecin, la sage-femme, les paysans. Qui se cache derrière d’étranges accidents qui surviennent au sein de la communauté et prennent peu à peu le caractère d’un rituel punitif ?
Ce drame invite à comprendre comment une idéologie se propage de manière destructrice, comment les injustices sociales alimentent la haine et le désespoir. Une métaphore terrifiante et limpide des prémices du nazisme et plus généralement des abominations en devenir.
2010

Lola / Brillante Mendoza
A Manille, deux femmes âgées se trouvent confrontées à un drame commun : l'une vient de perdre son petit-fils, tué d'un coup de couteau par un voleur de téléphone portable ; l'autre est la grand-mère du jeune assassin, en attente du procès. La première femme a besoin d'argent pour offrir des funérailles décentes à son petit-fils, pendant que l'autre se bat pour faire sortir son propre petit-fils de prison. Déambulant dans les rues de la ville, sous une pluie battante, elles luttent infatigablement pour le salut de leur famille respective.
Remarquable de précision et de patience, le chemin de croix sans sentimentalisme des deux grands-mères, victimes mais jamais impuissantes malgré les nombreuses épreuves, maintient une flamme dans la tempête. Un beau film humide, sensible et douloureux sur des combattantes du quotidien d'une force de volonté épatante.
2011

Ceci n'est pas un film (In film nist) / Jafar Panahi, Mojtaba Mirtahmasb
Condamné à 6 ans de prison et à 20 ans d’interdiction de travailler suite à un projet de manifestation contre la réélection du président Mahmoud Ahmadinejad, Jafar Panahi est assigné à résidence dans son appartement de Téhéran où il attend le verdict d’une justice kafkaïenne. Il parvient à détourner sa condamnation à mort professionnelle pour réaliser une oeuvre sur sa propre situation. Aidé de son complice le documentariste Mojtaba Mirtahmasb, ce non-film incomparable, composé de conversations entre les deux réalisateurs, illustré d’extraits de films et de mises en scène bricolées sur un tapis, raconte le quotidien et la colère d’un cinéaste privé de liberté.
L'espace clos, jusque-là exceptionnel dans le cinéma de Jafar Panahi, devient une caisse de résonance hautement sensible, captant les vibrations du monde extérieur sans permettre de les expliquer pleinement, échappant ainsi au plan et au contrôle du réalisateur. Le résultat est un acte de résistance imparable.
2012

Tabou (Tabu) / Miguel Gomes
Retraitée charitable, Pilar habite seule à Lisbonne dans un immeuble moderne. Peu à peu, elle se lie à ses étranges voisines : Aurora, une vieille dame élégante et fragile, sujette à des crises d'angoisse, et Santa, sa femme de ménage capverdienne, dont sa patronne affirme qu'elle pratique le vaudou. Après la mort d'Aurora, un vieux monsieur inconnu révèle à Pilar et à Santa le passé romanesque qui les a unis, puis séparés : jadis, au Mozambique, au pied du mont Tabou, lui et Aurora, alors mariée à un riche colon, se sont passionnément aimés.
Relecture délicieusement complexe et habile du cinéma et de l'histoire coloniale portugaise, le film, à la croisée du récit classique et du cinéma expérimental, est divisé en deux chapitres en miroir. Les parties s’articulent avec espièglerie et mélancolie autour de la représentation de ce qui a été perdu, des aspirations au bonheur inassouvies et des projections colonialistes. Calmes, fluides et belles.
2013

Heimat : Chronique d'un rêve - L'Exode (Die andere Heimat) / Edgar Reitz
Prusse, 1842. L'émigration est quotidienne en Allemagne, un exode dépeuple des pans entiers de l'Europe, les communautés affamées du Hunsrück étant particulièrement touchées. La population en a assez des hivers rigoureux, des famines récurrentes, du comportement absolutiste des autorités prussiennes, des consolations de la chaire qui ne promettent que l'espoir. Dans le petit village de Schabbach, la famille Simon fait face aux coups du destin, avec courage et foi en l'avenir.
Dans un mélange saisissant de sensualité et de stylisation, tant sur le plan visuel que linguistique, le film aborde la question de la viabilité de la liberté. Prologue de la mini-série Heimat, projet fou commencé au début des années 1980 à la télévision et qui retrace deux siècles d'histoire allemande, ces deux derniers volets sont aujourd'hui l'aboutissement majestueux du chef-doeuvre d'Edgar Reitz.
2014

Boyhood / Richard Linklater
Chaque année, durant douze ans, le réalisateur Richard Linklater a réuni les mêmes comédiens pour un film unique sur la famille et le temps qui passe. On y suit le jeune Mason de l'âge de six ans jusqu'à sa majorité, vivant avec sa soeur et sa mère, séparée de son père ; les déménagements, les amis, les rentrées des classes, les premiers émois, les petits riens et les grandes décisions qui rythment sa jeunesse et le préparent à devenir adulte.
Boyhood interroge les bons et les mauvais choix de vie, les regrets, la représentation de la vie dans sa durée, le passage à l'âge adulte en temps réel. Ce projet au long cours inouï est aussi émouvant qu'unique.
2015

Carol / Todd Haynes
Dans le New York des années 1950, Therese, jeune employée d'un grand magasin de Manhattan, fait la connaissance d'une cliente distinguée, Carol, femme séduisante, prisonnière d'un mariage peu heureux. A l'étincelle de la première rencontre succède rapidement un sentiment plus profond. Les deux femmes se retrouvent bientôt prises au piège entre les conventions et leur attirance mutuelle.
Les réminiscences du cinéma hollywoodien d'antan ont un effet indéniablement touchant dans ce mélodrame pétillant aux émotions pudiques. La maîtrise élégante du cadre et l'alchimie entre les deux actrices, d'une beauté incroyable, célèbrent l'amour « interdit » dans la sensualité et la retenue des années 1950.
2016

Certaines femmes (Certain Women) / Kelly Reichardt
Les destinées de quatre femmes qui tentent de trouver leur propre voie se croisent dans une petite ville du Montana. Laura, une avocate, est la maîtresse de Ryan, un homme marié. Gina, l'épouse de Ryan, souhaite construire sa maison avec les pierres présentes sur le terrain d'un vieil homme. Jamie, une jeune femme solitaire, travaille dans un ranch. Lors d'un cours du soir, elle tombe sous le charme de Beth, une jeune avocate harassée par les kilomètres qu'elle doit parcourir pour faire classe.
Trois histoires se croisent, reliées par des franchissements de frontières silencieux et un sentiment d'égarement. Trois épisodes de la vie de femmes volontaires dans un Etat rude et isolé. Le film, magnifiquement sobre, entre vision humaniste et western contemporain, évoque la distance et l'immensité, le vide et la solitude, en touchant à l'universel féminin.
2019

La flor / Mariano Llinás
Découpé en quatre parties, La flor regroupe en fait six histoires : quatre avec un début mais pas de fin, constituant les pétales, une cinquième au centre, comme un court métrage, figurant le pistil, et une sixième, dépourvue de commencement, faisant office de tige. Six histoires indépendantes correspondant chacune à un genre différent, et reliées par quatre actrices. Le cinéaste a imaginé ce film-fleuve (près de 14 heures) au tempérament féministe, dynamitant les conventions et les standards les plus extrêmes.
Tour du monde cinématographique monumental, unique, extrêmement captivant et imaginatif, difficilement descriptible, La flor est une œuvre qui maîtrise le temps en l'accélérant et l'arrêtant, le rembobinant et l'avançant comme aucune autre forme d'art. Un voyage espiègle et labyrinthique d'une richesse et d'une densité monstre.
2021

La Fièvre de Petrov (Petrovy v grippe) / Kirill Serebrennikov
Affaibli par une forte fièvre, Petrov est entraîné par son ami Igor dans une longue déambulation alcoolisée, à la lisière entre le rêve et la réalité. Progressivement, les souvenirs d'enfance de Petrov ressurgissent et se confondent avec le présent.
Métaphore du quotidien délabré de la Russie comme un rêve fiévreux et vertigineux, La Fièvre de Petrov est un tour de force cinématographique qui déploie en boucle la grisaille du régime autocratique de Poutine. Un film furieux et contagieux.
2022

Cahiers Noirs / Shlomi Elkabetz
Dans un taxi parisien, un homme apprend, par un voyant marocain, que sa sœur est sur le point de mourir. Pour tenter de déjouer la prédiction, le frère entreprend alors un voyage fictif entre le Maroc, Israël et Paris. A partir d’extraits de la trilogie écrite et réalisée par Ronit et Shlomi Elkabetz et d’archives familiales, Cahiers Noirs - Viviane et Cahiers Noirs - Ronit nous invitent dans l’intimité d’une famille judéo-arabe. Une histoire imaginaire où le frère et la sœur revisitent le passé et le présent pour défier un avenir implacable. Mais l’ombre de la prophétie plane toujours, dans la vie comme au cinéma.
Le film offre un aperçu rare et singulier de la vie tumultueuse de la regrettée Ronit Elkabetz, l'une des plus grandes actrices de l'histoire du cinéma israélien. Une oeuvre bouleversante, et l'hommage sans filtre, d'une honnêteté brutale et d'un respect absolu, d'un frère à sa sœur.

Pacifiction : Tourment sur les îles / Albert Serra
Sur l'île de Tahiti en Polynésie française, le Haut-Commissaire de la République De Roller, représentant de l'Etat Français, est un homme de calcul aux manières parfaites. Dans les réceptions officielles comme les établissements interlopes, il prend constamment le pouls d'une population locale d'où la colère peut émerger à tout moment. D'autant plus qu'une rumeur se fait insistante : on aurait aperçu un sous-marin dont la présence fantomatique annoncerait une reprise des essais nucléaires français.
La paranoïa conspirationniste devient l'état du monde et déferle telle une vague géante. Le néocolonialisme et l'impérialisme apparaissent comme dans un rêve, en un condensé de lumières, de couleurs et de corps. Dans la langueur tropicale, un sentiment de malaise indicible s'installe. La réalité y est sourde et inerte, le temps s'écoule et tout se dissout.
2023

Fermer les yeux (Cerrar los ojos) / Victor Erice
Julio Arenas, un acteur célèbre, disparaît pendant le tournage d'un film. Son corps n'est jamais retrouvé, et la police conclut à un accident. Vingt-deux ans plus tard, une émission de télévision consacre une soirée à cette affaire mystérieuse, et sollicite le témoignage du meilleur ami de Julio et réalisateur du film, Miguel Garay. En se rendant à Madrid, Miguel va replonger dans son passé.
Fermer les yeux pose la question du rapport entre le cinéma et l'âme. Le film, aux méandres tortueux, expansif, parfois pessimiste, explore l'interaction entre la lumière et l'obscurité, et sa capacité miraculeuse à susciter des émotions.
2025

Sirat / Oliver Laxe
Au coeur des montagnes du Maroc, Luis, accompagné de son fils Estéban, recherche sa fille qui a disparu. Ils rallient un groupe de ravers en route vers une énième fête dans les profondeurs du désert. Ils s'enfoncent dans l'immensité brûlante d'un miroir de sable qui les confronte à leurs propres limites.
Hypnotique et foudroyant, ce voyage halluciné perdu dans l'immensité aride du désert est une expérience sensorielle envoûtante et mystique. Un climat et un défi âpres et extrêmes, nimbés d'une bande son exaltée et bouillonnante. Un électrochoc incontestable.
*
Les 25 films du XXIe siècle pour Vincent
2000

Les glaneurs et la glaneuse / Agnès Varda
A travers le portrait de gens s'étant mis volontairement à la porte de notre société de consommation, une réflexion à la fois lucide et non dénuée d'humour sur cette dernière et sur notre place en son sein.
Un film tendre, drôle et poétique qui marque un tournant dans la carrière de cette immense cinéaste. Un cinéma terriblement libre.
2001

Mulholland Drive / David Lynch
Après un accident de voiture sur Mulholland Drive, au-dessus de Los Angeles, une jeune femme fait la connaissance d’une actrice débutante attirée par Hollywood, qui va tenter de l’aider à retrouver la mémoire.
Le film le plus abouti d’un des plus grands réalisateurs au monde. Chaque séquence souligne à quel point le cinéma de Lynch est incomparable. Le plus grand film du XXIème siècle.

La chambre du fils / Nanni Moretti
Un psychanalyste et sa femme perdent leur fils dans un accident et font face, avec leur fille, à ce deuil impossible.
Le deuil filmé avec tellement de justesse, de pudeur et d’intelligence que l’on aimerait rentrer dans le film pour saisir tendrement et consoler les personnages, Moretti tout particulièrement.
 
Un coupable idéal / Jean-Xavier de Lestrade
En Floride, Brenton Butler, 15 ans, est accusé du meurtre d'une touriste parce qu'il est noir et qu'il se trouvait à proximité des lieux au moment du crime. Jean-Xavier de Lestrade a filmé son procès et le combat acharné de son avocat commis d’office.
Jean-Xavier de Lestrade dissèque de façon implacable l’outrance du système judiciaire américain et le racisme systémique qui le guide. Un grand film de procès sur la volonté de rendre justice, sur le courage et l’abnégation.
2002

Le fils / Jean-Pierre et Luc Dardenne
Menuisier dans un atelier, Olivier accepte de prendre un nouvel apprenti. Qui est ce Francis, jeune garçon de quatorze ans, qui le fascine et l’effraie tant, et qu’il se met à suivre le soir après le travail ?
La caméra suit Olivier Gourmet, s’accroche à son dos, semble ne jamais vouloir le quitter. Comme le spectateur. Un film absolument bouleversant sur la bonté et la miséricorde où chaque plan est une leçon de mise en scène.

Loin du paradis / Todd Haynes
L'Amérique provinciale des années 1950. Mère et épouse exemplaire, Cathy Whitaker fait partie des notables de sa petite communauté. Rien ne semble altérer son beau sourire, peu importe que son mariage s'effondre et que ses amies l'abandonnent.
Toisant Douglas Sirk, Todd Haynes réussit un sublime mélodrame d’une grande beauté chromatique.
2003

Le retour / Andreï Zviaguintsev
La vie de deux frères est bouleversée par la réapparition soudaine du père.
Avec ce premier film grave et beau qui marque le spectateur comme peu de films en sont capables, Andreï Zviaguintsev s’est installé parmi les plus grands réalisateurs du XXIème siècle.

Elephant / Gus Van Sant
C’est une belle journée. Très ordinaire. Un lycée américain vit au rythme du sport, du réfectoire, de la bibliothèque, du labo photo. Nous suivons une douzaine d’élèves ainsi, dans leur quotidien. Tout le monde se croise. Pour certains ce sera d’ailleurs leur dernière journée.
D’une grande virtuosité, chaque plan place le spectateur devant l’ambiguïté de son regard tiraillé entre beauté et violence.

Être et avoir / Nicolas Philibert
Une école à classe unique au cœur de l'Auvergne : tous les enfants du village sont regroupés autour d'un seul maître, de la maternelle au CM2. Entre repli sur soi et ouverture au monde, ce groupe hétéroclite partage son quotidien pour le meilleur et pour le pire.
Un film universel qui pourtant ne quitte pas l’Auvergne. Chaque séquence touche en plein cœur.
2005

A History of Violence / David Cronenberg
Tom Stall, un père de famille à la vie paisiblement tranquille, abat dans un réflexe de légitime défense son agresseur dans un restaurant. Il devient alors un personnage médiatique, dont l'existence est dorénavant connue du grand public.
Une brillante allégorie de l’Amérique où, derrière le rideau des valeurs, se cache sa violence fondatrice. Cronenberg creuse ses obsessions en filmant un Viggo Mortensen magnétique.
2006

Les infiltrés / Martin Scorsese
A Boston, une lutte sans merci oppose la police à la pègre irlandaise. Pour mettre fin au règne d'un parrain, la police infiltre son gang avec un bleu issu des bas quartiers mais la police est elle même victime d'une taupe.
En remplaçant la pègre italo-américaine par le banditisme irlando-américain, les chansons de Sinatra par le punk irlandais, De Niro par Nicholson, Martin Scorsese se refait une jeunesse et signe un film aussi jouissif que solide.

Le vent se lève / Ken Loach
En Irlande en 1920, des paysans s'unissent pour former une armée de volontaires contre les troupes anglaises. Par sens du devoir et amour de son pays, Damien abandonne sa carrière de médecin et rejoint son frère Teddy dans le dangereux combat pour la liberté.
Un film dur et bouleversant qui montre, sans complaisance, sans artifice, ce qu’est le courage en proposant une superbe réflexion sur l’engagement.

Les fils de l’homme / Alfonso Cuaron
Dans une société futuriste où les êtres humains ne parviennent plus à se reproduire, l'annonce de la mort de la plus jeune personne, âgée de 18 ans, met la population en émoi. Au même moment, une femme tombe enceinte et devient par la même occasion la personne la plus enviée et la plus recherchée de la Terre.
Une réalisation virtuose au service d’un grand film de SF réaliste et sociétale qui posait, il y a près de vingt ans, les questions d’aujourd’hui.
2007

Les chansons d’amour / Christophe Honoré
Par amour, une jeune femme accepte de faire ménage à trois avec la collègue de son petit ami. Mais cette situation finit par devenir pesante pour la jeune femme qui aimerait être à nouveau seule avec lui.
Comédie musicale générationnelle portée par les superbes compositions d’Alex Beaupain, Les chansons d’amour (et de tristesse) est un film sur la fin de la jeunesse à laquelle sont confrontés les personnages incarnés par d’excellents acteurs, Louis Garrel en tête.
2011

Il était une fois en Anatolie / Nuri Bilge Ceylan
Au cœur des steppes d'Anatolie, un meurtrier tente de guider une équipe de policiers vers l'endroit où il a enterré le corps de sa victime. Au cours de ce périple, une série d'indices sur ce qui s'est vraiment passé fait progressivement surface...
Un western turc servi par une réalisation magistrale proposant un puissant regard sur l’humanité. Ceylan offre, comme toujours, un film plastiquement superbe d'une grande profondeur.

Take Shelter / Jeff Nichols
Curtis LaForche mène une vie paisible avec sa femme et sa fille quand il devient sujet à de violents cauchemars. La menace d'une tornade l'obsède. Des visions apocalyptiques envahissent peu à peu son esprit...
Le savoir-faire du cinéma américain au profit d’un film d’une grande intelligence sur les peurs, les responsabilités et la famille. Michael Shannon y est époustouflant.

Le cheval de Turin / Béla Tarr
Ohlsdorfer, un fermier d'un certain âge, vit en compagnie de sa fille dans une ferme recluse située à proximité de Turin. Dans la répétition de leurs journées, père et fille accomplissent les besognes dont ils sont responsables, malgré le vent infernal qui, dehors, balaie et repousse toujours un peu plus fort ce qui se trouve sur son passage.
Un film exigeant et âpre d’un cinéaste radical. Le cheval de Turin est une expérience métaphysique hors du commun.

Une séparation / Asghar Farhadi
Lorsque sa femme le quitte, Nader engage une aide-soignante pour s'occuper de son père malade. Il ignore alors que la jeune femme est enceinte et a accepté ce travail sans l'accord de son mari, un homme psychologiquement instable...
Portée par une mise en scène d'une force imparable, le film suit la frontière ténue entre le bien et le mal, la morale et la duplicité d’une société iranienne aussi bloquée que ne le sont ses personnages en quasi huis-clos.
2012

Amour / Michael Haneke
Georges et Anne sont octogénaires, ce sont des gens cultivés, professeurs de musique à la retraite. Un jour, Anne est victime d'une petite attaque cérébrale. Lorsqu'elle sort de l'hôpital et revient chez elle, elle est paralysée d'un côté. L'amour qui unit ce vieux couple va être mis à rude épreuve.
Un film sans concession qui montre au cinéma ce que l’on voit très peu : la vieillesse dans sa vérité crue. Bouleversant.

Margin Call / J. C. Chandor
Pour survivre à Wall Street, sois le premier, le meilleur ou triche. La dernière nuit d'une équipe de traders, avant le crash. Pour sauver leur peau, un seul moyen : ruiner les autres.
La faillite du système capitaliste filmée comme un thriller. Le cynisme d’un univers où les victimes importent peu, tant que l’argent va et vient. Captivant.
2013

A touch of sin / Jia Zhang-ke
Quatre personnages, quatre provinces, un seul et même reflet de la Chine contemporaine : celui d'une société au développement économique brutal peu à peu gangrenée par la violence.
En quatre histoires, Jia Zhang-ke montre les monstrueuses mutations d’un pays en perte de repère. Le film offre une multitude de scènes sidérantes qui semblent réinventer des facettes du cinéma.
2017

Phantom Thread / Paul Thomas Anderson
Dans le Londres des années 50, le couturier de renom Reynolds Woodcock et sa soeur Cyril règnent sur le monde de la mode anglaise. Les femmes vont et viennent dans la vie de ce célibataire aussi célèbre qu'endurci, jusqu’à sa rencontre avec Alma. Mais cet amour va bouleverser une routine jusque-là ordonnée et organisée au millimètre près.
À travers une mise scène magnifiquement sophistiquée et classieuse, Paul Thomas Anderson signe un film paradoxalement pervers et équivoque incarnant parfaitement, dans sa forme, le sujet qu’il traite.
2018

Shéhérazade / Jean-Bernard Marlin
Zachary, 17 ans, sort de prison. Rejeté par sa mère, il traîne dans les quartiers populaires de Marseille. C'est là qu'il rencontre Shéhérazade.
Rares sont les films qui, dès la première image, vous embarquent au point d’en avoir le souffle coupé. Aussi dur qu’émouvant, Shéhérazade est mené tambour battant par un duo d’acteurs exceptionnels.
2022

The Fabelmans / Steven Spielberg
Passionné de cinéma, Sammy Fabelman passe son temps à filmer sa famille. S'il est encouragé dans cette voie par sa mère Mitzi, dotée d'un tempérament artistique, son père Burt, scientifique accompli, considère que sa passion est surtout un passe-temps. Au fil des années, Sammy, à force de pointer sa caméra sur ses parents et ses soeurs, est devenu le documentariste de l'histoire familiale.
La jeunesse d’un grand cinéaste, mais surtout une magnifique – et souvent poignante – réflexion sur le cinéma et son pouvoir d’agir sur le réel.
2024

Le royaume / Julien Colonna
Corse, 1995. Lesia vit son premier été d'adolescente. Un jour, un homme fait irruption et la conduit à moto dans une villa isolée où elle retrouve son père, en planque, entouré de ses hommes. Une guerre éclate dans le milieu. Commence alors une cavale au cours de laquelle père et fille vont apprendre à se connaître.
Le banditisme corse vu à travers les yeux d’une adolescente à la recherche d’un père dont le royaume s’écroule. Julien Colonna dépasse magnifiquement le modèle du "film de mafia" et ses codes désuets en déplaçant le regard. Les morts ici ne sont jamais des victoires d'un clan sur l'autre : ce sont toujours des drames. Tragique et intense, poignante et lyrique, une première œuvre remarquable.

