Pendant treize ans, la réalisatrice danoise Lea Glob a ausculté avec acuité et transparence la carrière artistique de la jeune peintre figurative française Apolonia Sokol, offrant un regard sensible et bienveillant sur sa vie.
Des Beaux-Arts à la Villa Médicis, son film dresse le portrait fascinant d'une femme infiniment charismatique qui cherche sa place dans le monde de l'art, convaincue que l'art évolue parallèlement à la vie. C’est aussi en filigrane l’histoire de deux autres créatrices - la réalisatrice elle-même et la militante ukrainienne Oksana Shachko - qui se dessine.
Lea Glob rencontre son héroïne en 2009 via Skype, par l'intermédiaire d'un ami commun. A l'époque, la cinéaste danoise est étudiante à l'École nationale de cinéma de Copenhague et cherche un sujet pour un court métrage. Ce que Lea Glob voit sur son écran, c'est la vie dans le Lavoir Moderne Parisien, le théâtre d'avant-garde des parents d'Apolonia. Pour la jeune apprentie cinéaste, c'est l'image idéale d'un style de vie bohème auquel elle s'attache immédiatement ; notamment parce que sa famille, dont son grand-père, descend d'une longue lignée de peintres.
Insatisfaite du court métrage qu'elle réalise avec Apolonia, Lea estime que l'artiste mérite mieux. C'est pourquoi, alors qu'elle est à Paris pour le tournage d'Olmo et la Mouette, et soucieuse de trouver une autre forme d'expression au processus de création, elle contacte Apolonia pour lui soumettre son intention de faire un autre film et d'immortaliser les prémices de son exploration artistique.
D'origine danoise et polonaise, Apolonia Sokol est née en 1988. Elle grandit au cœur d'une diversité culturelle dans Le Lavoir Moderne situé dans le quartier de Château Rouge. Elle passe une partie de son enfance au Danemark, et retourne ensuite à Paris pour vivre à nouveau au Lavoir qui devient le tremplin de son parcours artistique, le lieu où elle exerce son apprentissage de la peinture.
Apolonia y accueille des figures du féminisme, dont Oksana Shachko, l'une des fondatrices du mouvement radical Femen, avec qui elle noue une amitié indéfectible.
Diplômée de l'école des Beaux-Arts de Paris en 2015, elle se rend aux États-Unis. Elle s'installe d'abord à New-York pour travailler dans l'atelier du peintre Dan Colen ; puis à Los Angeles où elle est parrainée par le collectionneur et marchand d'art Stefan Simchowitz. Grâce à la stratégie du mécène, elle produit dix tableaux par mois. Sa première grande exposition personnelle a lieu au musée d'Art moderne Arken au Danemark, en octobre 2023.
Malgré un parcours semé d'embûches, Apolonia est confiante, elle sait qu'elle a du talent. L'une des leçons fondamentales tirée lors de son séjour à Los Angeles est que les femmes peintres doivent faire davantage de sacrifices et surmonter des obstacles plus importants que leurs homologues masculins. Cela s'applique également à son amie Oksana dont elle peint plusieurs portraits. Arrivée d'Ukraine à Paris comme demandeuse d'asile, Apolonia la recueille dans son théâtre. En plus de son activisme, Oksana se passionne pour les icônes religieuses qu'elle peint dès son plus jeune âge. Dans les dernières années de sa vie, elle se tourne à nouveau vers l'iconographie pour créer des œuvres acerbes contre la religion (!) et le patriarcat.
Après la naissance de son enfant, Lea Glob tombe gravement malade. Lorsqu'elle décide d'intégrer son expérience personnelle au montage, elle explique que le film est devenu beaucoup plus universel, plus protéiforme. Ce n'est plus seulement un portrait d'artiste mais un documentaire sur la manière très personnelle dont trois femmes utilisent les images. L'histoire de leur collaboration et de leur amitié hors du commun.
La mort tragique d'Oksana en 2018 impulse à Apolonia un virage artistique. L'héritage militant de son amie l'influence dans une approche de la peinture plus constructive, l'encourageant à utiliser son art comme un vecteur dynamique de réflexion et de communication avec le monde.
Cette même année, Apolonia commence à collaborer avec The Pill - fondée par Suela Cennet et dirigée par des femmes - une galerie d'art contemporain basée à Istanbul qui représente l'artiste française.
Ses oeuvres lumineuses et colorées sont d'une beauté troublante. Elles captivent le regard avec l'intensité que produit chacune de ses incarnations. Puissantes et d'une grande spontanéité, ses peintures figuratives sont un prolongement de sa vie rebelle, artistique, engagée. Apolonia explore des thèmes tels que l'expérience féminine, le désir, les attentes communautaires, exprimés à travers ses propres souvenirs. Ses toiles forment une galerie intime des individus qui peuplent son existence - ses modèles sont des amis, des amants, des collaborateurs - documentant ainsi sa famille alternative et choisie, un contexte similaire à la structure familiale dans laquelle elle a grandi.
La peinture a un pouvoir et Apolonia utilise le pouvoir profond de l'art comme une arme. Elle se consacre à la construction d'une pratique entièrement articulée autour d'une prise de position politico-sociétale. Elle adopte le plus souvent le format traditionnel du portrait qu'elle pigmente de signification. A travers ses peintures militantes et féministes à la vitalité plastique et chromatique étonnante, elle affirme qu'il lui est impossible de dissocier son travail de sa personnalité et comble une fois de plus le fossé entre art et expérience. Par sa politisation du champ esthétique, Apolonia manifeste son intention de promouvoir les différentes actions qui lui sont chères et pour lesquelles elle s'engage avec dévouement.
Pendant plus de dix ans, Apolonia Sokol a vécu une vie documentée, cataloguée et encadrée par l'objectif discret, attentif et pudique de Lea Glob. Et au fil du temps, ses portraits sont devenus plus personnels, plus introspectifs.
L'affection que l'on éprouve pour l'artiste est l'une des plus grandes forces du film ; à tel point que chaque plan est un cadeau de cinéma. Apolonia, Apolonia suscite inévitablement le désir impérieux de se précipiter dans une galerie et de découvrir les œuvres spectaculaires d'Apolonia Sokol !