Ganja & Hess s’inscrit dans la mouvance du film de vampires en mélangeant miraculeusement les motifs, dans un univers formellement étonnant, mystérieux et envoûtant.

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Le cinéma fantastique, genre cathartique par excellence, peut se permettre tous les excès, tous les extrêmes dans sa perception manichéenne et politique du monde. Il abolit les frontières de bienséance en escamotant ou en pervertissant le réel le plus ordinaire pour mieux le sonder grâce à un jeu de métaphores et d’allégories qui expriment la quintessence de nos angoisses et de nos peurs.

Bill Gunn ouvre avec Ganja & Hess une nouvelle voie dans le cinéma d'épouvante. A mi-chemin entre le film de vampires (bien que le terme ne soit jamais mentionné) et le courant de la blaxploitation, il détourne habilement les codes pour en faire une œuvre totalement hybride.

 

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Figure polyvalente de la culture afro-américaine, Bill Gunn (1934-1989) a débuté comme dramaturge et scénariste. Cinéaste déchu, il signe avec Stop ! (1970) son premier long métrage dont la diffusion en salles fut quasi inexistante.

Ganja & Hess (1973) connaît la même fatalité suite à un différend entre le réalisateur et le distributeur qui n’a pas hésité à le couper afin qu’il obéisse à l’esprit de la blaxploitation en pleine émergence. Les studios projetaient en effet de sortir une nouvelle version de Blacula (William Crain, 1972), succès public et premier titre de la « blaxploitation horror ».

Jusqu’à sa restauration par le MoMA dans sa version intégrale et remontée (celle pensée par l’auteur), Ganja & Hess est resté inédit en France malgré sa sélection au Festival de Cannes dans le cadre de la Semaine de la critique. Personal problems (1980) le troisième et dernier film de Bill Gunn sera hélas ignoré lui aussi.

Notons que Ganja & Hess a fait l’objet d’un remake réalisé par Spike Lee en 2014 : Da sweet blood of Jesus.

 

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La trame est simple : Hess (Duane Jones), un anthropologue blessé par une dague sacrée assénée par son assistant (Bill Gunn), est contraint d’assouvir une soif insatiable de sang humain et entraîne avec lui sa maîtresse Ganja (Marlene Clark). Pourtant Ganja & Hess est une expérience unique qui mobilise tous les sens en mêlant les expérimentations sensorielles et les recherches visuelles. Il alterne les symboliques sexuelles et religieuses dans un choix audacieux des prises de vue et des mouvements de caméra, parfois bricolés et psychédéliques.

Surtout, le film se révèle d'une surprenante ambivalence dans la définition de ses personnages. Il donne au vampirisme une signification allusive et éminemment politique, comme en témoignent la place et l'identité des Afro-Américains dans la société et, plus généralement, l'africanité ancestrale.

On peut aussi envisager Ganja et Hess comme deux junkies à une époque où la circulation courante de la drogue et sa consommation étaient dévastatrices. Cette addiction subie, car induite par un empoisonnement, insuffle au quotidien de Hess une mélancolie qui tranche avec les hurlements et l' impudence de Ganja. Aux amants de Ganja, Hess choisit l'anonymat de prostituées pour assouvir sa soif. Et tandis que Hess mène une lutte inextricable entre sa dépendance et ses croyances religieuses (l'idéologie du christianisme est maintes fois abordée et la parabole du sang christique devient, somme toute, évidente), Ganja affiche une arrogance et une certaine frivolité à l'égard des classes afro-américaines défavorisées.

Bill Gunn prête aussi une attention particulière à la bande son composée par Sam Waymon (impressionnant dans le rôle du révérend Luther Williams) qui fait corps avec le film et sert une même exaltation de la vie, salutaire et cruelle. La partition musicale la plus saisissante reste néanmoins la ritournelle qui accompagne les scènes de manque ou de satiété. Elle leur donne une dimension paroxystique à la fois poétique et hypnotique relevant du trip ou de l'hallucination.

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Si Ganja & Hess est aujourd'hui légitimement considéré comme un classique du cinéma afro-américain, le nom de Bill Gunn, cinéaste passionnant, reste encore méconnu. Il est donc important de découvrir ce film à la belle étrangeté dans l'espoir de pouvoir apprécier un jour le reste de son œuvre.

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