Après avoir purgé dix-huit ans de prison pour le meurtre d'un vendeur de chevaux, un vaquero mexicain retourne dans son village pour défendre son honneur. Ce western dramatique et singulier est un film tendu, plein de suspense, mais profondément poétique. Ecrit par Carlos Fuentes et Gabriel García Márquez, il est ressorti sur les écrans en 2017 après des années d'obscurité.
Bien que respectant les codes du genre - une ville perdue au milieu du désert, une histoire de vengeance et un duel final -, Tiempo de morir n'est pourtant pas un western conventionnel. L’intrigue donne au film l'atmosphère d'un conte magique dans un lieu isolé d'Amérique latine. L'histoire ne fonctionne pas sur l'action, les courses-poursuites, les combats et les fusillades, mais plutôt sur la tension créée par la menace qui pèse sur Juan Sayago, un homme qui sort de prison et qui n'aspire qu'à reconstruire sa vie et revoir son ancienne fiancée. Il est question ici de la chronique de la mort annoncée de son protagoniste, harcelé et menacé par les enfants de Raul Trueba, l’homme qu’il a tué en duel il y a tant d’années.
Cinéaste mexicain internationalement reconnu pour son travail au cinéma et à la télévision, Arturo Ripstein peut se prévaloir de plus de trente films et d’avoir reçu de nombreux prix et distinctions. Son style et sa capacité à réaliser des histoires complexes et émotionnelles ont fait de lui l'un des auteurs le plus respecté de son pays. Dans tous ses films, Ripstein repense le mélodrame, en accentue la noirceur, et enferme ses personnages, névrosés ou délirants, dans un univers d'où est banni tout espoir. Il a toujours défendu avec constance la nécessité de filmer la misère et la tragédie.
En 1965, son père - le producteur Alfredo Ripstein - acquiert les droits de El charro, un scénario écrit par Carlos Fuentes et Gabriel Garcia Marquez. Il confie la réalisation à son fils à condition qu'il en fasse un western, un genre très populaire à l'époque. Arturo Ripstein a alors vingt-et-un ans, Tiempo de morir sera son premier long métrage et le bel espoir d’une œuvre marquante. On y trouve déjà les thèmes et les obsessions récurrents de sa filmographie, comme la cellule familiale - pour mieux dénoncer les conventions, les tabous et les préjugés sociaux -, et l’isolement.
Il confirme ses promesses en 1968 avec Les Mémoires du futur, mais c'est surtout six ans plus tard qu’il s'impose à l'international au Festival de Cannes avec L'Inquisition. Parmi ses films les plus remarquables citons Le Château de la pureté (1973), Principio y fin (1993), Carmin profond (1996), ou encore Pas de lettre pour le colonel (1999).
Dans Tiempo de morir, Arturo Ripstein observe d’un œil critique le machisme ambiant qui force les fils Trueba à ne pas discréditer le souvenir viril paternel. Les conflits proviennent souvent de perceptions illusoires du passé qui amènent les hommes à affirmer leur besoin inévitable de vengeance et de revanche.
Ripstein met en scène les premières rencontres de Juan avec les habitants de la périphérie du village dans des plans conciliateurs, suggérant un faux sentiment de sécurité que la présence de Julian, le fils aîné, va bientôt perturber. Juan subit sa défiance latente et sa persécution permanente alors qu’il n’aspire qu’à une nouvelle existence de repenti, sans bruit, sans fureur. Il a purgé sa peine et toute entrave à sa tranquillité souligne un mépris évident pour la justice.
Le récit transforme les objectifs de Juan d'exonérer son précédent acte de violence - qui était apparemment de la légitime défense - en une série de gestes d’apaisement infructueux. Tous sont refusés par Julian qui rejette la possibilité que l’image qu’il s’est construite de Juan comme un tueur froid et impitoyable soit peut-être entièrement fausse.
Le cinéaste jongle ainsi avec un large éventail de motivations des personnages, y compris celles de Pedro, le frère cadet, qui fait la connaissance de Juan lors d’échanges serviables avant de se rendre compte que c'est lui qui a tué son père. La voix de la raison de Pedro contrecarre la rage irrationnelle de Julian. Il reconnaît la sincérité de Juan, croyant à ses affirmations selon lesquelles il a agi par instinct de survie plutôt que par méchanceté.
C’est pourtant le tempérament belliqueux de Julian qui l’emporte sur l’attirance de Pedro pour la conversation et le dialogue, car l’agressivité apparaît comme le seul refuge des hommes en colère. Dans la sensibilité plus pondérée de Pedro on devine une alternative pour sortir d’un tel héritage de vengeance, mais cette porte de sortie semble vaine. La volonté pacifique d’une communauté relève de l’utopie car soumise à la soif persistante d’effusion de sang de Julian. La raison et l'empathie en tant que stratégies de communication sont souvent des armes insuffisantes pour contrer la volonté de pouvoir des hommes violents.
Par sa réalisation soignée, son utilisation du plan séquence, son sens de l'ellipse, ou encore son goût pour les miroirs et les jeux de reflets, Tiempo de morir marque la naissance d'un cinéaste et d’un nouveau cinéma mexicain.
Cette tragédie inexorable - dans un Mexique violent, sexiste et brutal où les codes de l'honneur sont défendus le fusil à la main - est encore aujourd'hui d’une modernité palpable.