Pour son premier film en tant que réalisateur, Yoshimi Itazu propose avec Le Grand Magasin (Au bonheur des animaux), sorti en 2023, une belle et émouvante fable écologique destinée à un large public mais qui interroge néanmoins avec fraîcheur et subtilité notre rapport aux animaux ainsi que les innombrables travers de nos sociétés de consommation. Du kawaï, certes, mais sauce aigre-douce !   

 

 

Bienvenue au centre commercianimal !

Bienvenue à Hokkyoku !

Derrière ce nom se cache l'un des plus grands magasins de la ville, dont la taille et la superficie n'ont d'égales que ses immenses ressources et sa majestueuse apparence. C'est dans ce temple du luxe et de la consommation que la jeune Aniko commence son métier de concierge. Discrétion, affabilité, anticipation des demandes et service efficace sont les qualités maîtresses dont elle doit faire preuve si elle souhaite conserver son poste. Et elle aura fort à faire pour satisfaire une clientèle aussi spéciale qu'exigeante.

Car la grande particularité de cette enseigne, c'est de n'accueillir que des clients... à plumes, à poils, à sabots ou à écailles !  Des reptiles aux rongeurs, en passant par les oiseaux et les mammifères, c'est toute une faune endimanchée qui se presse dans les allées du magasin pour trouver son bonheur auprès d'un personnel aux petits soins. Ce qui ne plaît pas d'ailleurs à certains humains qui se plaignent de ce traitement de faveur.

 

 

Aniko, dont l'enthousiasme empressé n'empêche ni les gaffes ni les maladresses, va devoir répondre aux attentes extravagantes des V.I.A, (les Very Important Animals) sous l'étroite surveillance de son excentrique chef, M. Todo. Des animaux dont la plupart sont des espèces menacées ou en voie de disparition à cause des hommes... Et ce qui apparaissait au départ comme une simple inversion humoristique se teinte, au fur et à mesure des rencontres d'Aniko, d'une douce mélancolie. Comme si tous les efforts de la jeune concierge n'avaient d'autre but que de restaurer chez ses clients une mémoire et une dignité malheureusement perdues.

 

Concierge du Grand magasin Manga

 Une adaptation... au poil !

En adaptant l’œuvre singulière du mangaka alternatif Tsuchika Nishimura, parue en France aux éditions du Lézard noir en 2019, Yoshimi Itazu ne choisit pas la facilité. Le style graphique de Nishimira s'éloigne en effet des codes classiques de la bande dessinée japonaise pour se rapprocher davantage de l'illustration européenne, voire de l'animation américaine. Deux influences majeures se retrouvent d'ailleurs dans La Concierge du grand magasin. Tout d'abord l'admiration et l'affection que voue Nishimura à la regrettée Tove Jansson, écrivaine et illustratrice islandaise et maman des Moomins. On reconnaît d'ailleurs son trait longiligne et épuré. Quant à la seconde influence, plus thématique cette fois, elle est à rechercher du côté des studios Disney avec le film Zootopie, sorti en 2016. Le mangaka reprend cette idée d'un havre de paix inter-espèces et de la difficulté à le protéger. Il utilise également l'anthropomorphisme pour porter un regard critique sur le monde du travail mais aussi les méfaits, parfois involontaires, d'un certain consumérisme.

 Decor le grand magasin

 Esope at the shop

 En raccourcissant l'intrigue (le film dure 1 h 10min) et en reprenant certains éléments du style de Nishimura, Yoshimi Itazu tente le pari de séduire un plus large public. S'il conserve l'idée des rencontres successives avec différents animaux aux demandes extravagantes, il les réduit pour n'en faire ressortir que quelques uns, jouant à la fois sur l'humour mais aussi l'émotion. L'histoire et le destin de certains d'entre eux nous rappellent aussi, en arrière-plan, la beauté fragile de ces créatures que nos modes de vie et nos choix ont contribué, au fil de l'Histoire, à condamner. En les voyant ainsi à notre image, ce sont nos propres agissements qui sont mis en lumière comme toute fable qui se respecte ! En variant les changements d'échelle et les perspectives, en insistant sur la verticalité vertigineuse du magasin, Itazu nous donne même à ressentir le côté déstabilisant du métier d'Aniko, contrainte d'adapter son regard mais aussi ses pratiques à chaque fois.

Si la charge contre le monde du travail est nettement amoindrie, elle demeure néanmoins présente, comme en témoigne les apparitions impromptues de M.Todo, qui surgit toujours de nulle part pour surveiller sa nouvelle recrue et tenter de la prendre en défaut ! Le sous-titre français est d'ailleurs assez explicite puis qu'il renvoie directement au livre d' Emile Zola, Au bonheur des dames, écrit en 1883, qui racontait déjà l'histoire de la création de ces immenses magasins dans les grandes villes sous le Second Empire, à travers le regard d'une de ses vendeuses, Denise Baudu. Avec toutes les conséquences que cela a entraîné tant sur le paysage urbain que sur les comportements.

 

Le Grand Magasin 7 2023 Tsuchika Nishimura Shogakukan The Concierge Film Partners

 

Avec Le Grand Magasin (Au bonheur des Animaux), Yoshimi Itazu propose un film familial, tendre et divertissant à la fois, derrière lequel affleure, ici et là, un regard ironique invitant à la réflexion. Un anime qui pose des mots sur les maux des animaux !

 

Yoshimi Itazu

Né en 1980 au Japon, Yoshimi Itazu cumule les fonctions de réalisateur, animateur, character design, scénariste et story-boarder.

Petit prodige de l'animation, il intègre le studio Gallop à 18 ans avant de travailler pour le fameux studio Madhouse par la suite. C'est là qu'il fait la rencontre du réalisateur Satoshi Kon avec lequel il va collaborer à de nombreuses reprises. Tout d'abord sur le long-métrage Paprika en 2006, puis avec la série Paranoïa Agent l'année suivante. Il croisera également la route d'un autre grand maître, Hayao Miyazaki, dont il intégrera l'équipe d'animateurs pour Le Vent se lève en 2013. Cette série de rencontres ne s'arrêtera pas là puisqu'en 2015, il travaille sur le design graphique des personnages du film Miss Hokusaï, de Keiichi Hara en 2015, où il officiera aussi en tant que directeur de l'animation. Notons aussi son rôle d'animateur pour les films Wondeland, le royaume sans pluie (2019) du même Keiichi Hara, et Le Roi Cerf (2022) de Masashi Ando et Masayuki Miyaii.

Le Grand Magasin (Au bonheur des Animaux), présenté au Festival du film d'animation d'Annecy en 2023, est son premier film en tant que réalisateur.

 

 

 

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Né en 1984, le mangaka japonais Tsuchika Nishimura entre dans la carrière en 2010.

Il remporte en 2011 le prix Nouveau Talent du Japan Media Arts Festival. C'est aussi cette même année qu'il fonde avec d'autres artistes le groupe de musique Tove Jansson New York, dans lequel, en plus de jouer de la guitare, il compose et réalise les illustrations d'accompagnement. Son premier manga, Au revoir Mina paraît en 2013. Il sera suivi en 2017 de Eisbahn - Sentier verglacé et La Concierge du Grand Magasin. Son dernier manga en date, Chikuma San, sera publié quant à lui en 2020.

Artiste rare et discret, Tsuchika Nishimura privilégie sa carrière d'illustrateurs de livres et de CD.

 

 

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