Alors qu’ils ne représentent qu’ 1 à 2 % de la population, les roux sont partout. Au fil des pages, des planches et entre les phylactères, ils occupent clairement le terrain. Héros insoupçonnés du 9e art, ils sont sur-représentés en bandes dessinées. Pourquoi un tel engouement ? C’est ce que nous allons tenter de découvrir...
Pour commencer, parlons des classiques du genre. La bande dessinée franco-belge compte pléthore de rouquins dans ses albums.
Le plus célèbre d’entre eux est sans contexte, Spirou.
Quand Jean Dupuis demande au dessinateur Rob-Vel de créer ce personnage, en 1938, il ne lui donne qu’une indication, son nom : Spirou. Étymologiquement, ce mot signifie écureuil en wallon. Tout naturellement inspiré par cette information, le dessinateur va imaginer une chevelure rousse pour ce héros singulier. Il lui offre également un animal de compagnie, un écureuil appelé Spip. Spirou est facilement reconnaissable car principalement vêtu de rouge. Embauché comme groom au Moustic Hotel, il gardera cette tenue au fil de ses aventures. Le héros suit les évolutions graphiques de ses différents auteurs, comme Franquin ou Fournier. Il change de métier, devient reporter et commence à quitter son costume de groom pour des vêtements plus communs, même s’il conserve son chapeau et son pantalon. Le rouge reste sa couleur, à l’image de son tempérament joyeux et aventureux (et de sa chevelure).
Autre personnage, autre question : Tintin est-il roux ou blond ?
Les avis divergent. Il semblerait qu’il soit blond ou blond vénitien pour certains, roux pour d’autres, voire un mélange des deux...Étrangement, son évolution capillaire suit la maturité et le caractère de son personnage. En effet, si au départ ce choix dépend plus de la technique (impression, qualité du papier, jaune trop fade), au fil des albums, Hergé accentue la coloration de sa chevelure. Elle devient de plus en plus orangée. Symboliquement, la couleur rousse correspond à la force, la vigueur, à un tempérament passionné. Consciemment ou inconsciemment, c’est peut-être ce que l’auteur a voulu insuffler à son personnage. A ce propos, il est intéressant de noter qu’Hergé, dans sa jeunesse, était scout et que « son totem » (nom choisi par les autres membres du groupe) était Renard Curieux, animal roux et malin.
Cornélius M. Chesterfield, personnage sympathique et malicieux de la bande dessinée classique franco-belge, imaginé par Raoul Cauvin, est sergent de l’armée américaine. Membre du 22e de Cavalerie, il s’illustre comme l’une des principales figures « des Tuniques Bleues ». Ne sachant pas monter à cheval, Cornélius ment pour s’engager et cherche par tous les moyens à devenir héros de guerre. Il accepte à ce titre, toutes les missions surtout les plus périlleuses. Archétype du bon soldat, il suit les ordres même les plus stupides et n’a qu’une hantise : être renvoyé de l'armée.
Au-delà de la malice et du caractère aventureux, les personnages roux semblent dotés de courage et d’intrépidité. Les détectives, policiers et enquêteurs sont nombreux.
Ric Hochet, journaliste coopère régulièrement avec la police judiciaire. Sportif accompli, esprit brillant, il suit des enquêtes souvent épineuses et complexes.
Jérôme K. Jérôme, jeune détective privé affectionne particulièrement tout ce qui touche au monde de la police. Il collectionne, par exemple, les sirènes de voitures du monde entier. Il ne supporte pas l’alcool et se déplace toujours en solex car il n’arrive pas à avoir son permis de conduire. Souvent inconscient, lors de ses investigations, il frôle régulièrement le pire.
Ex-commissaire de police à Marseille, Léo Loden décide de monter sa propre agence de détectives. Aidé, par son oncle Loco (marin retraité maladroit et déluré), il va être amené à suivre une série d’affaires explosives où polar et humour se mêlent à la sauce provençale.
Soda de son vrai nom David Salomon, s’invente une vie et se déguise en pasteur pour ne pas inquiéter sa mère cardiaque. Il est flic à New York, et a appris à se changer en moins d’une minute tous les matins, dans l’ascenseur de son immeuble.
Les roux sont donc inventifs, courageux, charismatiques et souvent dotés du sens de l’humour.
Bien souvent les personnages principaux de la bande dessinée franco-belge évoluent en duos : observons les plus célèbres.
Blake et Mortimer, duo composé du capitaine Francis Blake, ancien pilote de la Royal Air Force, devenu directeur du MI-5 (service de renseignement et sûreté britannique) et du professeur Philip Mortimer, spécialiste en physique nucléaire et éminent scientifique. Fumant la pipe, impulsif et jovial, il est écossais : barbe et cheveux roux.
Comment ne pas citer le duo le plus célèbre des gaulois de la bande dessinée : Astérix et Obélix. Intelligent, espiègle parfois irascible, Astérix est toujours partant pour se battre contre les romains. Il est accompagné par son acolyte Obélix, tombé dans la potion magique quand il était petit. Pas toujours conscient de sa force, gourmand, sensible et joyeux, il est le personnage préféré des lecteurs. Tous les sondages le place en tête de liste. Reconnaissable par ses célèbres braies aux rayures verticales bleues et blanches, Obélix l’est aussi par sa moustache et ses tresses rousses.
Autre duo, nom des moindres, Boule et Bill : Boule est un petit garçon rêveur de 7 ans et Bill, son chien et meilleur ami. Ce dernier, un cocker anglais ne parle qu’avec les animaux mais arrive très bien à se faire comprendre des humains grâce, notamment, à ses grandes oreilles qu’il bouge dans tous les sens. Les deux héros sont aussi roux l’un que l’autre.
Parlons, maintenant des héroïnes.
Chevelure flamboyante roux clair, cendré ou carrément rouge, les personnages féminins ne sont pas en reste de « Roussitude ».
Comme ne pas penser à Mélusine, jeune (119 ans) et jolie sorcière rousse. Fille au pair, dans un château en Transylvanie (chez une fantôme et son mari vampire), elle suit les cours à l’école de sorcellerie où les gags s’enchaînent et se multiplient avec ses drôles de petits camarades.
Ou bien, à Chloé alias Mistinguette (pour les intimes) héroïne « girly », timide et étourdie, en quête de popularité et de reconnaissance, auprès de ses pairs, des élèves de 4e ..
Autre demoiselle au grand cœur, véritablement attachante, Cerise (10 ans et 1/2) rêve de devenir romancière. A travers son journal, cette gentille curieuse enquête sur son quotidien et raconte ses pensées, ses doutes, ses amitiés. Avec les Carnets de Cerise, l’illustratrice Aurélie Neyret nous offre des planches incroyables où le choix des teintes et coloris est intégré à la narration et porte véritablement le récit. L’évocation même du prénom de l’héroïne, Cerise, est une couleur (c’est également celle de sa chevelure).
Comment ne pas citer La Rose Écarlate qui vole aux riches pour donner aux pauvres. A l’image de son idole, un brigand nommé « Le Renard » et pour retrouver le meurtrier de son père, Maud, jeune fille romantique de 18 ans, le jour, devient, la nuit, une justicière masquée, sûre d’elle et déterminée. Une fois encore, le personnage central est défini par une couleur : écarlate, un rouge vif et soutenu.
En réalité, héros, duos ou héroïnes sont bien trop nombreux, pour être tous, énumérés ou listés.
Cependant, il est intéressant d’observer que cette particularité touche bien des catégories de la bande dessinée.
Les « Musts » ou incontournables albums destinés aux plus petits confirment cette règle.
Terreur iconique, Tom, première moitié des P’tits Diables (la deuxième étant sa sœur Nina) est un petit rouquin de 6 ans, à l’imagination débordante.
Garfiield, le chat le plus célèbre de la bande dessinée, égocentrique et fainéant, arbore également une épaisse toison orange.
Plus insolite, Nelson, « seul prince des ténèbres qui a peur du noir » est un petit diablotin orange glouton et infernal, venu sur terre pour punir Julie (qui a malencontreusement volé un rouleau de papier toilette au bureau).
Sans parler de « la Star » du moment : Mortelle Adèle. 10 millions de livres vendus depuis sa création en 2012. Parmi les 10 titres les plus vendus en France en 2020, on trouve 4 Mortelle Adèle ! En 2021, elle occupe la 3e et 7e place du palmarès des meilleures ventes de bandes dessinées. Derrière ses tâches de rousseur, la petits fille de 10 ans, au caractère bien trempé est désobéissante, énervée, indisciplinée. Toujours prête à tenter une expérience farfelue, elle ne manque ni de repartie, ni d’aplomb face aux adultes et enchante littéralement les enfants.
Au-delà des têtes d’affiches, il est aussi éclairant de citer encore quelques noms comme Pico Bogue à l’épaisse tignasse de cheveux roux constamment en bataille, Nino & Rebecca et les personnages de la bande dessinée Où es-tu Léopold ? (Léopold et Céline) frères et sœurs respectivement rouquins, ou encore la studieuse Léonie, comparse de Ducobu… Les exemples ne manquent pas.
Par ailleurs, cette spécificité originale s’observe également pour une autre catégorie : les bandes dessinées de fantasy.
Lanfeust de Troy, série emblématique du genre, ne déroge pas à la règle. Son héros, un apprenti forgeron, à part une mèche noire, a bien les cheveux roux. Il vit dans un monde de magie où chacun est détenteur d’un pouvoir petit ou grand, incroyable ou inutile. Lanfeust peut faire fondre le métal d’un seul regard mais au toucher d’une certaine épée, il réalise qu’il peut posséder tous les pouvoirs. Maladroit et un peu naïf, le jeune homme va révéler ses talents de combattant et sa bravoure, au cours de multiples aventures et devenir un héros véritablement charismatique.
Autre héros de fantasy médiévale jeunesse, Percevan qui s’illustre comme un intrépide et valeureux chevalier, à la superbe chevelure rousse. Détail intéressant, à cette époque, la rousseur est perçue comme la marque du diable. Une malédiction qui distingue et singularise le personnage de manière significative.
Série plus récente (2019) Lothaire Flammes suit aussi la tendance puisque que Lothaire, le héros, est roux. Ce drôle de chasseur de monstres s’appelle, de surcroît, Flammes…
Même chose pour Les Bergères Guerrières, (Fauve d’Angoulême 2022 – Prix Jeunesse 8-12 ans) où la jeune Molly aux cheveux de feu, va vivre de grandes aventures en entrant dans l’ordre prestigieux des Bergères guerrières, un groupe de femmes choisies parmi les plus braves pour protéger le village et la population.
Dernière et surprenante catégorie : les mangas.
Même si les roux ne sont pas monnaie courante au Japon (du moins, en termes de couleur naturelle), il semble que cette particularité séduise également les mangakas. Les chevelures de feu (au sens propre et au sens figuré) sont décidément à la mode depuis longtemps et, encore très en vogue, aujourd’hui.
Voici, un choix de personnages emblématiques (car trop nombreux pour être tous cités) :
Tout d’abord, parlons d’un manga qui fait, maintenant, parti des classiques du genre : Ranma 1/2. Il raconte l’histoire d’un garçon nommé Ranma, parti en Chine pour se perfectionner en arts martiaux. Arrivé là-bas, il est victime d’un sortilège bien étrange : il se change en fille (rousse… évidemment) dès qu’il est aspergé d’eau froide ! Ce dernier peut, heureusement, inverser le sort en effectuant l’opération inverse avec de l’eau chaude.
Bleach (avec 130 millions de livres commercialisés est l’un des mangas les plus vendus au monde) présente Ichigo Kurosaki, lycéen de 15 ans, qui arrive dans un système scolaire formaté et uniformisé. Sa couleur de cheveux : roux (annoncée dès la première page du tome 1) va faire de lui un paria. Différent du monde qui l’entoure, le jeune homme navigue entre plusieurs réalités et peut communiquer avec les fantômes. Après avoir acquis les pouvoirs d’un Shinigami (littéralement « Dieu de la mort » symboliquement similaire à une Faucheuse), il devra combattre les mauvais esprits et guider les âmes perdues.
Comment ne pas penser à Erza Scarlett, apparue dans les premiers chapitres de Fairy Tail. Magicienne extrêmement puissante, connue pour ses capacités au combat et sa ténacité, elle est considérée comme la plus célèbre guerrière de la guilde Fairy Tail. Belle, la jeune fille est reconnaissable grâce à de magnifiques cheveux de couleur écarlate lui descendant jusqu’au milieu du dos.
Finissons avec le fameux et charmant pirate Shanks le Roux, genre de réincarnation de Barbe Rousse. Sa couleur de cheveux lui a d’ailleurs valu cet épithète. Il fait parti des personnages préférés de One Piece, manga le plus vendu en France. La saga de 100 volumes (la publication du numéro 102 est prévue pour septembre 2022) est entrée, en 2015, dans le Guinness Book des records en tant que « série la plus imprimée au monde » avec 320 866 000 exemplaires !
En définitive, ce large tour d’horizon confirme cette observation. Contrastant avec la réalité, les roux sont bien sur-représentés en bande dessinée. Le rouge et l’orange sont graphiquement intéressants. La couleur de cheveux permet de remarquer immédiatement un personnage. Il est plus facile à repérer dans une page où il y a beaucoup de monde. De plus, cette palette vive amène du dynamisme, de l’éclat et du relief à un dessin. Un héro roux aura une présence souvent plus forte qu’un équivalent brun ou blond. Cette teinte de transition permet de nombreuses déclinaisons comme le rouge rosé, cerise, cendré ou bien le orange intense, cuivré, doré.
Couleur chaude, par excellence, elle permet également de faire ressortir les traits de caractère spécifiques d’un personnage et symbolise certaines qualités comme le courage, la force, l’intelligence, la ruse, l’opiniâtreté, la singularité, le mystère…
Une belle occasion de venir découvrir (ou redécouvrir) toutes ces séries à la médiathèque et de chercher ces fameux et nombreux personnages qui, je le répète, sont légions (je n’ai pas parlé des personnages secondaires, par exemple).
Roux, rousses et autres poils de carotte ont eu leur revanche. Si dans la vraie vie, être roux peut être mal vécu, le 9e art prône délibérément la tolérance et le droit à la différence.
