Alors que les vacances approchent à pas sûrs à pas lents, l'occasion était toute trouvée de revenir sur Les Beaux étés, une bande dessinée enchanteresse en six volumes signée Zidrou et Jordi Lafebre. Pour allumer dans les cœurs un immense soleil, et nous inviter à une traversée tendre, irrésistiblement drôle et nostalgique de tous nos souvenirs d'enfance.

 

 

L'enjeu de cette famille, ou l'art de très bien mal commencer ses vacances !

 Comme chaque année chez le clan Faldérault, le temps des vacances rime toujours avec grande effervescence ! Pour cette famille de belges, un seul mot d'ordre : "Cap au Sud !"

Oui, mais... Car il y a toujours un "mais" qui se profile, même au mois de juillet ! 

Le rituel est toujours le même pourtant, d'album en album : "Mam'zelle Estérel", leur infatigable 4L rouge pimpante est chargée à ras-bord, prête à partir et à transporter toute la tribu au grand complet dans un joyeux et indescriptible bazar. 

Et quelle tribu, en effet ! 

 

Famille Fadelrault

 

Dans la famille Faldérault, je demande le père : Pierre, alias Pif, dessinateur de BD et collectionneur de cailloux (si, si, ça existe !), aussi espiègle que fantasque, dont les retards chroniques dans son travail provoquent toujours l'exaspération des siens et des départs en catastrophe !

La mère ensuite, Madeleine, dite Mado, vendeuse de chaussures au caractère bien trempé et au cœur débordant d'amour, qui veille vaillamment sur toute la maisonnée.

Viennent ensuite les enfants : Julie Jolie, l'aînée timide et réfléchie, Nicole la fofolle, Louis le lunaire (et Tchouki, son ami imaginaire) et enfin Paulette la tornade. 

Toute une galerie de personnages savoureux que l'on va apprendre à connaître, et surtout, à aimer. 

Ce charmant petit monde va devoir faire face à l'imprévu sous toutes ses formes. Car évidemment, rien ne va se passer comme ils l'espéraient ! Mais toutes ces sorties de route, au propre comme au figuré, seront autant de promesses de découvertes d'endroits inattendus et de rencontres inoubliables. Chanter dans les embouteillages, deviner la forme des nuages, trouver l'endroit parfait pour pique-niquer, dormir à la belle étoile, faire la sieste sous un arbre, partager un repas improvisé au coin du feu, discuter avec un ami imaginaire ou des compagnons de fortune, nouer des amitiés avec des gens de passage, regarder pousser les bébés...

 

Famille

 

Et c'est un réel plaisir pour le lecteur de suivre l'enthousiasme et la candeur avec lesquelles cette famille surmonte toutes les péripéties et fait face à toutes les situations. Qu'il s'agit de trouver un camping en Ardèche, de jouer les Robinson dans un cabanon perdu au milieu des calanques, de se résoudre par la force des choses à poser ses valises dans un hôtel luxueux classé au guide Michelin (Trois étoiles, s'il vous plaît !), de devenir les heureux propriétaires d'une villa... qui n'existe pas, de se retrouver coincé au poste de douane en pleine période des fêtes ou d'attendre une pièce qui n'arrive pas dans une ferme accueillante perdue en pleine campagne, toutes ces histoires ne sont que des prétextes pour faire surgir l'humanité des uns et des autres et forger de belles expériences. 

Autant de moments simples et précieux  qui nous rappellent, avec la force de l'évidence, l'essentiel. Car si les chemins de traverse, comme le chantait Francis Cabrel, ne sont pas les plus courts, ils restent certainement les plus beaux. Après tout, l'imprévu n'est-il pas l'autre nom que le hasard donne à la grande aventure ? 

 

La Ballade des gens heureux

Et puisque l'on parle de chanson, ce titre de Gérard Lenorman pourrait servir de bande son idéale à ce road-trip familial et saisonnier. Car cette comédie humaine offre, sous la plume de Zidrou et les pinceaux lumineux de Jordi Lafebre, une magnifique galerie de personnages tous attachants, tous bienveillants malgré leurs plaies et leurs bosses.

Car dans Les Beaux étés, il n'y a pas de planète à sauver, de combats titanesques, d'enjeux cosmiques. Il n'y a pas de complots à déjouer ou d'enquêtes à résoudre. Il n'y a pas de "messages" ni de slogans. Pas de causes à défendre ou a revendiquer. Et... qu'est-ce que ça fait du bien !

 Non, il y a juste la vie et son cortège d'émotions. Les chamailleries comme les embrassades, les disputes comme les réconciliations, les moments de déchirement comme les parties de franche rigolade. Les petits secrets et les grands silences. Les aveux qui blessent et les petits riens qui sauvent. Les gestes qui parlent mieux que les mots et des échanges de regards. Des larmes qui brillent et des yeux qui pétillent. Des sourires francs et des grimaces irrésistibles.

 

ob ebfa84 les beaux c3a9tc3a9s tome 4 le repos d

 

Au cours de leurs nombreuses rencontres, les membres de la famille Faldérault resserrent un peu plus les liens qui les unissent et permettent à chaque personnage qu'ils croisent de donner le meilleur d'eux-mêmes. Avec une élégance et une pudeur, au détour d'une case ou d'un dialogue, qui suscitent notre empathie et remportent notre adhésion. Car l'important n'est sans doute pas de savoir si de tels sentiments existent, mais simplement y croire et plus encore, daigner s'en émerveiller.

Il serait néanmoins faux de croire à un angélisme supposé des auteurs autant qu'à du feel-good forcé. Le scénariste Zidrou sait ainsi faire planer habilement quelques ombres sur ce tableau pas aussi idyllique qu'il en a l'air : la séparation éventuelle des parents dont on devine progressivement les causes, une tante gravement malade, un grand-père d'origine espagnole hanté par le franquisme, une grand-mère en mal de maternité, l'adolescence avec ses conflits et ses remises en question, les difficultés financières et le rapport au travail, les illusions perdues, des gens qui cachent la vraie nature de leur relation comme d'autres qui n'osent pas avouer leurs sentiments, des être solaires mais solitaires et des ombrageux qui gagnent à être mis en lumière, et enfin des amis imaginaires qui aident à surmonter le trauma d'un enfant disparu... 

 

Les beaux étés tome 5 La Fugue Noël Zidrou Jordi Lafebre Mado Pena vacances hiver pink floyd friterie

  

Chronologie désordonnée d'un crépuscule

 Un autre fait original et marquant de la série est de jouer habilement sur la temporalité éclatée des évènements racontés. Plutôt que de nous présenter les histoires dans l'ordre chronologique, Zidrou et Jordi Lafebre s'amusent autant à revenir en arrière que se permettre un saut dans le futur. 

Si le premier album se passe en effet durant l'été 1973, le deuxième se déroule quand à lui en 1969. Le troisième nous ramène encore plus loin, en 1962, avant que le quatrième nous propulse directement en 1980 ! Le cinquième nous conduit à faire un petit pas en arrière, en 1979, alors que le sixième - et dernier - fait reculer l'horloge du récit jusqu'en 1970 !

 Mais bien loin de dérouter le lecteur, cette façon de procéder participe admirablement de la logique des souvenirs qui, à la façon des rêves, reconfigure notre rapport à l'espace et au temps. Comme l'écrivait si bien Jean Anouilh, "c'est dans les souvenirs que les choses prennent leur vraie place". Et c'est ainsi que nous allons découvrir la famille Faldérault à différentes étapes de son existence. Nous allons les voir grandir, vieillir, naître parfois, rajeunir, chaque étape nous en apprenant un peu plus sur leur histoire commune comme sur leur parcours. Chaque album devenant la pièce d'un puzzle qu'il nous appartient de reconstituer, et ce sera au lecteur de rassembler, ou pas, les éléments épars qui donneront du sens et de l'épaisseur aux comportements des personnages.

 

PlancheS 48581 

Ce procédé astucieux donne encore plus l'impression de feuilleter l'album photo de cette famille que nous avons appris à connaître et qui, somme toute, est aussi un peu la nôtre. Car nous aussi, nous avons notre place chez les Faldérault, comme il y a du Faldérault dans chacune de nos propres familles.

Cette inscription du récit dans les années 70 a évidemment son importance, même si elle ne parlera pas à tous les lecteurs, et opère comme un marqueur d'époque, comme nous le rappelle d'ailleurs l'utilisation des chansons populaires qui émaillent chacun des albums de la série et que chantent les personnages.

 

Les beaux étés tome 5 La Fugue Noël Zidrou Jordi Lafebre Mado Pena vacances hiver pink floyd souvenirs

 

Nous sommes à la fin des Trente Glorieuses, et avec elles, c'est un modèle de société qui s'apprête à disparaître, un certain rapport aux autres comme au monde aussi. Le crépuscule doux-amer d'un moment d'histoire qui rappellera bien des souvenirs aux plus anciens lecteurs et suscitera peut être la curiosité des plus jeunes. Car après tout, il ne peut pas y avoir de beaux étés sans d'inévitable clair-obscur, les vacances n'ont qu'un temps. Elles ouvrent une parenthèse à l'intérieur de laquelle les règles et les usages du quotidien s'effacent, où l'on peut s'essayer à vivre comme à être différent, où notre rapport aux autres comme à nous-mêmes change. Ce que Zidrou et Jordi Lafebre ont parfaitement compris et mis en avant. C'est ce qui rend les vacances si mémorables et c'est aussi ce qui fait que tous les lecteurs, quel que soit leur âge, se reconnaîtront.

Il y a du Jacques Tati et du Sylvain Chomet dans cette chronique familiale qui est aussi le portrait de toute génération. Goscinny et Sempé ne sont pas très loin non plus avec le Petit Nicolas, bien sûr, qui les tient par la main, et qui croisent sur leur route les Boule et Bill de Roba.

Une bande dessinée à déguster comme une glace en été.

Elle a beau fondre rapidement, exploser notre taux de glycémie, et ne durer qu'un tout petit moment, elle sait réveiller en nous la saveur fugace autant qu'inimitable de tous nos paradis perdus. Ce que l'on appelle peut être la nostalgie, tout simplement.

Mais une nostalgie qui ne serait pas le but, seulement le moyen. Et être capable de faire ressentir cette nostalgie à des lecteurs qui n'ont pas connu cette période, c'est plus qu'un pari réussi. C'est carrément du grand art ! 

Alors vous aussi, prenez place dans la 4L des Faldérault. Il y a de la place pour tous. La destination en vaut vraiment la peine. Quant au voyage, je n'en parle même pas !

 

download

  Les Auteurs

Zidrou 

Benoît Drousie, alias Zidrou, est certainement l'un des scénaristes de la bande dessinée francophone les plus importants et le plus prolifique de ces dernières années. 

Né en 1962 à Bruxelles, il se destine d'abord à l'enseignement. Devenu instituteur, il exercera son métier jusqu'aux années 1990 où il commence par proposer des idées de projet et à composer des chansons pour les enfants.

Cette connaissance du monde de la jeunesse et de l'univers scolaire le conduira à créer deux personnages désormais bien connus des lecteurs : L'Elève Ducobu avec le dessinateur Godi (en 1992) et Tamara avec Darasse en 2001, qui connaîtront tous deux de nombreuses adaptations cinématographiques.

Pour les plus jeunes, il scénarisera la série Margot et Pluche avec Carine De Brab et Falzar, série qui deviendra Sac à puces à partir des années 2000, ainsi que la série Choco parue chez Casterman entre 2001 et 2003.

C'est à partir des années 2010 qu'il va multiplier les projets comme les collaborations artistiques, s'aventurant aussi en dehors de la bande dessinée jeunesse. Difficile de toutes les citer mais signalons néanmoins les roman graphiques Le Beau voyage (2013, chez Dargaud), L'Indivision (2015, chez Futuropolis) et la Petite Souriante (chez Dupuis en 2018), tous trois dessinés par Benoit Springer, Avec le dessinateur Arno Morin, il écrira L'Adoption, une série en deux cycles de deux tomes de 2016 à 2021aux éditions Bamboo.

Évoquons également L'Obsolescence programmée de nos sentiments (2018) illustrée par Aimée de Jongh pour Dargaud ou encore Horizontale - journal d'une grossesse allongée avec le dessinateur Jan Bosschaert en 2018 aux éditions Lombard.

Mais l'univers de la jeunesse n'est pas oublié pour autant puisque l'on va lui confier la reprise et la participation à plusieurs séries existantes comme La Ribambelle (deux albums chez Dargaud, 2011-2012), Les Nouvelles enquêtes de Ric Hochet avec le dessinateur Van Liemt (sept albums parus entre 2015 et 2024), Cliffton (deux tomes, 2016-2017), ou encore Léonard (à partir du tome 47, en 2016). Avec le dessinateur Frank Pé, il réinterprètera le personnage du Marsupilami dans le diptyque La Bête en 2020 chez Dupuis.

Enfin, avec Jordi Lafebre, il créera Les Beaux étés de 2016 à 2021.


jordi lafebre

 Jordi Lafebre  est né à Barcelone en 1979.

Après avoir intégré les Beaux Arts à l'Université de Barcelone, cet artiste catalan s'est spécialisé dans la bande dessinée à l'école Joso.

Il va se lancer dans le monde de l'illustration à partir des années 2000 où il collaborera avec plusieurs magazines en Espagne (comme (Nobanda ou Wet Comix), ainsi que dans la publicité. Il publiera sa première bande dessinée dans le magazine jeunesse Mister K, El mundo de Judy sur un scénario de Toni Font.

Mais c'est sa rencontre avec Zidrou qui va être déterminante pour la suite de sa carrière. Ce dernier va en effet scénariser des histoires courtes pour le journal de Spirou dont il va lui confier certaines parties graphiques. Ces histoires seront regroupées dans deux albums par la suite,La vieille dame qui n'avait jamais joué au tennis et autres nouvelles qui font du bien (chez Dupuis en 2009) et Joyeuses nouvelles pour petits adultes et grands enfants (chez Dupuis en 2010) où déjà son style lumineux et la bonhomie de ses personnages s'affirment.

Toujours avec Zidrou, il dessinera le one-shot Lydie aux éditions Dargaud en 2010 et, surtout, il assurera la mise en images de la série en six volumes Les Beaux Étés à partir de 2015 et ce jusqu'en 20221, chez Dargaud.

Également scénariste, il écrira et dessinera Malgré tout chez Dargaud en 2020 et Je suis leur silence, toujours chez Dargaud en 2023.

Jordi Lafebre est également enseignant à l'école Joso où il a lui même étudié.

 

 07

 

Propulsé par le Portail Orphée & Joomla! / Hébergé & conçu par C3rb Informatique