Alliée - par mariage - aux familles Filhe, propriétaire du jardin du Roy, Clapiers, bourgeoisie de la rue Voltaire et Delors qui donne des juristes et des administrateurs à la ville, la famille de Cuers de Cogolin est une famille provençale importante depuis le 18ème siècle.
Au cours du 19ème siècle, les de Cuers de Cogolin sont cités dans la correspondance administrative au sujet de diverses affaires municipales : cession d’un terrain pour l’agrandissement de l’hôpital, désignation pour la participation à des commissions…
Un descendant de cette famille alors bien implantée à Hyères, Jean Baptiste Charles (1856-1927) embarque à Marseille pour l’Asie. Sans doute mandaté par la chambre de commerce phocéenne, il s’établit dans l’import-export d’abord au Tonkin puis à Yokohama au Japon. Il y sera président de l’Alliance française (vraisemblablement une société commerciale et non l’institut de diffusion de la langue française). Depuis l’ouverture du pays à l’Occident (ère Meiji, 1868), ce pays insulaire, longtemps replié sur lui-même, attire de nombreux étrangers. Des concessions leurs sont attribuées notamment à Yokohama.
Jean Baptiste de Cuers de Cogolin
C’est toutefois à Haïphong (Tonkin) en 1908, que Jean Baptiste Charles épouse officiellement sa compagne japonaise, Yuki Kojima âgée de 26 ans. Il en a lui-même 52. Leur fille Henriette Haraou, née avant l’officialisation de cette union en 1898 à Yokohama, a 10 ans. Élevée dans une double culture, celle-ci grandit dans l’amour de la beauté japonaise, puis elle étudie la peinture au Japon chez Okada, en France, à l’Ecole des Beaux-Arts de Marseille puis au cours de l’Académie Julian à Paris, et ceux de l’Académie Humbert. Artiste en pleine ascension, elle exposera avec succès au salon d’automne.
Henriette de Cuers de Cogolin
(11 juin 1918)
En 1920, ses parents s’installent à Hyères. Rentier, Jean Baptiste (64 ans) qui possède une maison d’import-export à Paris, se retire avec son épouse Yuki au n° 3 de la rue Saint Rémy. Entre 1920 et 1929, les Hyérois pourront ainsi apercevoir avec ravissement une Japonaise en costume traditionnel déambuler dans les rues de la ville. Jean Baptiste va retrouver la société locale, sa vie associative et devient président du Cercle des Iles d’Or.
Fragment de lavis
Mais le malheur frappe cruellement cette famille si originale : alors qu’elle était fiancée à un jeune sculpteur français, Henriette meurt brutalement à Paris en 1923. Son père Jean Baptiste décède à Hyères en 1927. Yuki se retrouve donc seule sous les palmiers, sans famille, dans un monde qui n’est pas le sien. Elle disparaît à son tour en 1929. Elle a seulement 47 ans. La rumeur parle alors d’un suicide par empoisonnement, seul son jardinier, Paul Amic, aurait pu en témoigner car c’est lui qui déclarera le décès à l’état-civil.
Fragment de lavis
La mort réunit cette famille hyéro-japonaise dans la tombe, tombe qui se trouve aujourd’hui dans le caveau des Clapiers de Cuers de Cogolin, au cimetière d’Hyères (allée Alphonse Denis, n° 100.)
Il nous reste aujourd’hui un patrimoine écrit exceptionnel et encore chargé de mystère qui fut légué à la Ville en 1931, sans doute par la famille du frère de Jean Baptiste Charles, Jean Baptiste Mathieu.
Une partie de la collection déposée à la bibliothèque en 1931
Les albums de photographies et de dessins, les revues féminines et les romans en japonais, les reliures délicates de papier dominoté ou de tissu moiré et les recueils de lavis restent aujourd’hui autant d’invitations au voyage vers le Japon afin de retrouver à Yokohama les traces de ces destins originaux qui relient Hyères à l’histoire du Pays du soleil levant.