La mise en ligne sur le portail de la médiathèque des épreuves du grand roman d’André Malraux, L’espoir, souligne une nouvelle fois les liens unissant l’écrivain à la ville d’Hyères. Mais il s’agit avant tout d’un trésor pour les chercheurs et les passionnés de littérature.
Homme de lettres, homme politique, combattant, André Malraux incarna comme peu d’autres le XXème siècle et ses méandres, peut-être parce qu’il l’aborda tel un aventurier ou, du moins, en homme curieux avide de culture, délaissant les bancs du lycée pour la fréquentation assidue des musées et la lecture des textes orientaux.
De 1923 à 1931, le plus souvent avec son épouse Clara, il voyage en Asie. En Indochine, il découvre des statues dans un temple khmer perdu en pleine jungle, se fait emprisonner, dirige pendant six mois à Saïgon un journal d’opposition au régime colonial corrompu, publie La Tentation de l’Occident, fruit de ses réflexions sur l’Extrême-Orient, puis son premier roman asiatique, Les Conquérants, ou encore La Voie royale, transposition romanesque de son expédition dans la forêt vierge, avant de découvrir la Perse et d’entamer un tour du monde qui le conduit en Afghanistan, au Cachemire, en Inde, en Chine, au Japon et aux États-Unis.
Les voyages forgent son engagement politique et Malraux, qui prend activement part aux réunions d’opposition au nazisme triomphant en Allemagne, se rapproche des communistes français et russes. La publication à cette époque de La Condition humaine, roman consacré à la révolution chinoise, lui assure une importante notoriété, ce qui ne l’empêche pas, après un périple africain (Yémen, Égypte, Éthiopie), de s’engager en 1936 en faveur de la République espagnole victime du coup d’état militaire de Franco. Alors qu’il ne sait aucunement piloter un avion, il dirige sur place l’Escadrille España rapidement rebaptisée Escadrille André Malraux.
Cette expérience marquante de la Guerre civile espagnole lui inspire L’Espoir en 1937. Couvrant les premiers mois de la guerre civile, du putsch militaire franquiste du 18 juillet 1936 à la bataille de Guadalajara en mars 1937 où les républicains ont été victorieux, le roman relate l’engament d’un intellectuel comme commandant de l’armée républicaine, le récit se focalisant ainsi dans le camp républicain afin de décrire son organisation à partir des différentes tendances de la Gauche espagnole et des soutiens extérieurs.
Très vite, Malraux repose sa plume pour reprendre les armes afin de combattre l'armée allemande durant la Deuxième guerre mondiale. Mais en 1940 l’unité de l’Armée française à laquelle il appartient est faite prisonnière par la Wehrmacht. Sa captivité ne dure pas puisqu'il réussit à s'évader et à regagner la Côte d’Azur où il s’installe avec sa maîtresse, Josette Clotis, avec qui Malraux entretient une véritable passion.
Ce fut des années auparavant, en 1933, dans les couloirs de la NRF à Paris, que Malraux rencontra Josette Clotis, femme de lettres et fille de Joseph Clotis, maire d'Hyères de 1947 à 1958. L'écrivain s'éprit immédiatement de la jeune femme que Clara Malraux, son épouse, appelait « la provinciale. » C'est pour ainsi dire naturellement qu'en novembre 1940, Malraux, en fuite, la rejoint à Hyères où les deux amants résident. Josette Clotis donna naissance à deux garçons, Pierre-Gauthier et Vincent Malraux, avant de mourir tragiquement en 1944 en tombant d'un train – tandis que ses deux fils périront dans un accident de voiture, le 23 mai 1961.
Malraux s’engage dans la Résistance et devient le colonel Berger, chef de la Brigade Alsace-Lorraine opérant en Dordogne, puis, en 1945, en Alsace. À la Libération, il rencontre le général de Gaulle et, sans cesser d'écrire des livres précieux, mènera à ses côtés la carrière politique que l'on connaît, notamment à la tête du Ministère de la Culture, un Ministère marqué encore de son empreinte des années après la mort du grand homme en 1976.
Cependant, bien qu'agissant dans les arcanes du pouvoir, André Malraux, certainement parce qu'il était lié à la ville par de terribles malheurs, continua d'entretenir des liens étroits avec Hyères et, surtout, son « beau-père », Joseph Clotis.
André Malraux et Joseph Clotis
Leur sincère amitié permit à la bibliothèque d'Hyères d'enrichir son fonds de livres dédicacés grâce à La voie royale et Le musée imaginaire, ouvrages dédicacés « pour la bibliothèque municipale d'Hyères » et respectivement signés par Malraux en 1947 et 1950, mais, plus intéressant encore, grâce à un don de Joseph Clotis : un exemplaire d'épreuve du roman L'espoir, corrigé au crayon et à l'encre de la main de Malraux, et où ce dernier précise, à l'adresse des éditions Gallimard, « bon à tirer après corrections le 6/12/37 » avant d'apposer sa signature.
Sur les 361 pages de l'épreuve, 97 sont annotées, corrigées ou marquées, soit à peu près 27 % du livre, avec notamment la refonte totale, au sein de la partie « Être et faire », des chapitres V à VIII (26 pages) dont les paragraphes ont été découpés, déplacés, scotchés et annotés, révélant ainsi ce qui est d’habitude caché : les hésitations de l'auteur, sa méthode de travail et les étapes de construction du récit.